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Financement d’infrastructures à l’export : Le crédit-acheteur, une solution gagnant-gagnant

ellalebourg

Dernière mise à jour : 24 nov. 2023



Par Jehanne-Ella LEBOURG, Avocat à la Cour

Associée fondatrice Cabinet FXT Law

publié dans la Lettre Internationale n°666 de Classe Export - 9 novembre 2023


Si la question du financement est un élément incontournable dans un projet d’infrastructure à l’international, celle d’un financement adapté est un levier structurant pour sa réussite. Réussite de l’exportateur à remporter le marché et le sécuriser, réussite de l’emprunteur – le plus souvent étatique – à minimiser ses coûts d’emprunt, et réussite des banques à faire couvrir leurs risques de manière optimale.


En effet, la très grande majorité des projets d’infrastructures à l’étranger se déroulent dans un environnement incertain et risqué, mettant à dure épreuve l’appétence des financeurs. De fait, nombre de projets se trouvent bloqués ou échouent face à la primordiale question du financement et de ses garanties.


En revanche, l’apport d’une solution de financement adaptée et sécuritaire peut assurer à l’exportateur de remporter un contrat ou marché alors même que son offre globale serait moins compétitive que d’autres. En effet, le volet financement représente un élément fondamental de l’enveloppe, et ses termes doivent être de nature à concurrencer les autres solutions de financement potentiellement à disposition de l’acheteur.


Financer un projet d’infrastructure localisé à l’étranger peut se faire principalement sous deux formes : celle d’un Financement de Projet classique, structuré sur la base des flux financiers que ce projet pourra dégager au stade de son exploitation à travers un SPV créé ad hoc, ou celle d’un Financement Export, structuré sur la base des capacités de remboursement de l’emprunteur et selon un budget alloué audit projet.


Ce second mode de financement est dédié aux projets promettant une rentabilité limitée mais répondant à certaines conditions permettant de bénéficier d’un soutien public par une agence de crédit export (ci-après, « ACE ») – BPIFrance Assurance Export pour la France. En pratique, il s’agira d’infrastructures essentielles dans les secteurs routier, ferroviaire, portuaire, aéroportuaire, militaire, aéronautique, énergétique (hydraulique, électrique, éolien…), du traitement et distribution d’eau potable, ainsi que des actifs divers acquis pour des besoins de service public (navires garde-côtes, hélicoptères, avions de chasse, satellites…).


Pour un exportateur (ou l’exportateur leader) français, l’éligibilité de ce type de projets au soutien public est essentiellement conditionnée, pour BPIFrance AE par exemple, par une part d’exportation française minimum de 20% du montant du contrat commercial considéré, et une contrepartie pays non-exclue de la politique d’assurance-crédit française.


Techniquement, ce financement se matérialise par un contrat appelé « contrat de crédit-acheteur ». Ce contrat de crédit dédié consiste en un crédit bancaire de 2 ans ou plus à taux fixe ou variable, octroyé à une personne publique (Etat, collectivité ou société semi-publique) ou privée, qui est en principe l’acheteur, par une ou des banques commerciales privées ou publiques ou banques de développement, pour le financement d’un contrat commercial d’exportation de biens d’équipement et/ou de services (sauf négoce international et biens de consommation), vendus ou fournis par un exportateur grande entreprise, PME ou ETI.

Au regard des particularités de ces types de projets et de leur localisation souvent très exotiques, le crédit-acheteur est un instrument fort et équilibré, répondant aux exigences de protection, gestion et compétitivité pour chaque partie.


Un instrument de paiement direct en faveur de l’exportateur


L’un des principaux soucis de l’exportateur tout au long de la vie du contrat commercial, est de recevoir paiement de manière certaine, de la part d’un débiteur assurément solvable. Le crédit-acheteur a été construit autour de cette exigence première en prévoyant un déboursement direct par les banques à l’exportateur.

Il s’agit d’un principe essentiel et non négociable du crédit-acheteur, pilier de son mécanisme. Cette technique permet de surcroît d’éliminer le risque éventuel d’utilisation des fonds par l’emprunteur à des fins autres que le paiement du prix du contrat commercial d’exportation.


Du point de vue juridique, ce mécanisme de paiement direct est fondé sur la combinaison de deux éléments :

- L’octroi d’un mandat de paiement, par l’acheteur/emprunteur à la banque (ou l’agent des prêteurs), au profit de l’exportateur, et

- L’utilisation de la technique de remise documentaire, qui prévoit que l’exportateur ayant remis à la satisfaction de la banque des documents conformes, puisse être payé directement par celle-ci.

Ce mécanisme de paiement direct à l’exportateur sans que les fonds ne passent par l’acheteur, est également une condition de couverture du financement par une ACE. La seule exception à ce mécanisme est le cas de refinancement de sommes déjà payées par l’emprunteur (importateur) à l’exportateur.


De plus, le mécanisme du crédit-acheteur permet à l’exportateur d’obtenir des paiements au fur et à mesure de son exécution du contrat commercial, sans en attendre la réception définitive.


L’exportateur est également protégé par l’impossibilité pour la banque de lui opposer des exceptions, telle une compensation. Ainsi, les relations fournisseur/acheteur ni les relations banque/emprunteur ne peuvent être « utilisées » par la banque contre l’exportateur.


Enfin, l’exportateur peut également bénéficier d’une protection complémentaire en marge du crédit-acheteur en souscrivant une assurance contre le risque d’interruption de contrat.


Un instrument de gestion financière et opérationnelle pour l’emprunteur


Du point de vue de l’emprunteur, le crédit-acheteur représente un outil de diversification de ses sources de financement avec un crédit long-terme à taux préférentiel et potentiellement fixe.


Dans son fonctionnement, il lui octroie une période de grâce de remboursement pendant la phase de construction : le premier remboursement n’est dû que 6 mois après la date de livraison finale ou de réception définitive.


Quant au paiement direct à l’exportateur par les prêteurs, il présente pour l’emprunteur l’avantage de le dispenser du risque opérationnel d’un re-transfert de fonds, qui plus est vers l’étranger. Il présente donc pour lui un instrument de gestion de flux cross-border, à moindre coût.


Il convient de rappeler à ce titre que, si le crédit-acheteur est ainsi matériellement déboursé entre les mains de l’exportateur par les prêteurs, l’emprunteur reste toujours juridiquement tenu de son remboursement envers ceux-ci bien qu’il n’ait jamais réceptionné les fonds.


Enfin, concernant le coût économique du soutien public, s’il est supporté par l’emprunteur sur qui repose la charge du paiement des primes d’assurance-crédit, celles-ci peuvent être financées à 100% dans l’enveloppe de crédit. Elles sont donc diluées dans le prêt, à la différence d’autres financements classiques où le coût d’une émission de garantie ne ferait techniquement pas partie de l’enveloppe du crédit garanti.


Un instrument de protection de la position des prêteurs


Un autre principe important du crédit-acheteur – également non négociable – prémunit les prêteurs contre toute velléité de l’acheteur/emprunteur de leur opposer un éventuel différend au titre du contrat commercial pour demander la suspension des tirages ou mettre intempestivement fin au contrat de crédit-acheteur: le principe de l’indépendance entre contrat commercial et contrat de crédit-acheteur.


Ce principe est affirmé dans une clause particulière du contrat de crédit-acheteur nommée « clause Isabel », résultant en l’inopposabilité par l’emprunteur à la banque de certaines exceptions tirées du contrat commercial pour se départir de ses obligations de remboursement.


Si ce principe pourrait, selon une certaine analyse, être battu en brèche depuis la Réforme du Droit des contrats de 2016 (Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016), l’inopposabilité souhaitée est toutefois fortement renforcée par la pratique de plus en plus répandue de faire contresigner par l’emprunteur les avis de tirage présentés par l’exportateur à l’agent des banques.


Par ailleurs, si l’emprunteur s’arrogeait le droit de signifier aux prêteurs une suspension temporaire ou une révocation définitive du mandat de paiement, une telle suspension ou révocation serait en principe constitutive d’un « cas de défaut » au titre du contrat de crédit-acheteur. Cet événement ouvrirait la porte à une possible accélération du crédit, décision porteuse de conséquences négatives pour lui.


Cette suspension ou révocation serait en outre source d’inconfort juridique et commercial pour les banques qui auraient à choisir entre : (i) y faire droit et stopper les paiements au préjudice financier de l’exportateur et de leur relation commerciale parfois historique avec ce dernier, ou (ii) l’ignorer, poursuivre les paiements à l’exportateur mais s’exposer au risque de litige contractuel avec l’emprunteur et de non-remboursement.


C’est une des raisons pour lesquelles le mandat de paiement est toujours, selon la pratique de marché, stipulé « irrévocable ». On voit ici encore tout le subtil équilibre du crédit-acheteur, prévoyant une soupape contractuelle de sécurité face à certaines décisions potentiellement offensives de l’emprunteur.


Un instrument d’équilibrage et de contrôle par l’agence de crédit export


Un troisième principe fondamental, le plus topique du crédit-acheteur et toujours non négociable, est la subordination de l’ensemble de l’opération de financement à l’existence et l’effectivité de la police d’assurance-crédit. Ceci induisant techniquement la prévalence à tout moment des termes de la police d’assurance-crédit ainsi que des instructions communiquées par l’ACE, sur le contrat de crédit-acheteur.


Autrement dit, en cas de perte ou suspension de la police, pour quelle que cause que ce soit, ou de non-respect de ses termes ou des instructions complémentaires de l’ACE, la couverture peut être perdue et entraîner la fin des tirages et l’exigibilité immédiate anticipée du crédit. Ce principe est d’autant plus impactant pour les banques que l’ACE (à tout le moins BPIFrance AE) ne prend en aucun cas le risque documentaire ni ne participe (contrairement à d’autres ACE) à la négociation du contrat de crédit.


Ainsi, par exemple, la décision de la banque de mettre fin au crédit ou d’amender le contrat, sera en principe soumise à l’avis si ce n’est le consentement préalable de l’ACE ; dans le même esprit, les banques ont l’obligation de tenir informée l’ACE de tout événement pouvant constituer une dégradation de son risque d’assureur même en l’absence d’impayés


Pour sa part, l’ACE ne se prononcerait pas sur une décision pour laquelle elle serait sollicitée sans prendre en considération les intérêts du projet dans son ensemble de manière équilibrée, en particulier ceux de l’exportateur qu’elle a in fine la mission économique de soutenir.


Un instrument de compétitivité sur la scène internationale pour tous les acteurs du projet


Globalement, le crédit-acheteur a prouvé son attractivité - depuis des décennies - en ce qu’il permet à l’exportateur de se distinguer dans les appels d’offres à l’international en offrant à l’emprunteur des conditions de prêt préférentielles, et aux banques une sécurisation spécifiquement adaptée de leurs risques. A savoir, pour l’essentiel:


- Une assiette de financement éligible relativement large pouvant aller jusqu’à 85% du montant du contrat commercial d’exportation (selon l’Arrangement OCDE), ainsi que, entre autres, 100% des primes d’assurance-crédit ;

- Un financement direct par certains ECA (jouant le rôle de prêteur en ce cas) à hauteur d’un certain montant (par exemple, BPIFrance peut financer en prêteur seul jusqu’à 25M€, ou jusqu’à 75M€ en cofinancement) ;

- Une durée de crédit généralement plus longue que les offres locales, calées sur la durée moyenne de vie économique du bien ou de l’infrastructure financée (en général 15 ans, sauf règles spécifiques de l’Arrangement OCDE) ;

- Des taux fixes minimum déterminés par les règles de l’Arrangement OCDE, et pour l’essentiel en fonction de ceux des OAT de la devise du prêt sur la durée moyenne totale du crédit ;

- Une possibilité de réserver un taux fixe entre 1 et 12 mois à l’avance ;

- Une stabilisation du taux d’intérêt par substitution d’un taux fixe au taux contractuel variable, donnant ainsi à l’emprunteur une visibilité sur le coût du financement. A cet égard, il faut noter que le bénéfice de la stabilisation ne concerne que des prêts bénéficiant d’une assurance-crédit export de l’État gérée par Bpifrance Assurance Export ;

- Une garantie ou assurance-crédit du prêt par l’ECA concernée, couvrant, selon le cas, entre 90 et 100% de l’assiette de financement éligible ;

- Des taux de prime d’assurance-crédit régulés par l’Arrangement OCDE et sensiblement bas pour les emprunteur souverains versus privés, à catégorie égale ;

- Un guichet unique auprès de BPIFrance Assurance Export pour l’ensemble du package soutien public comprenant l’octroi et le suivi de l’assurance-crédit, et la gestion du système de stabilisation ;

- Une possibilité d’inclure un financement court-terme pour les rapports d’études de faisabilité, à certaines conditions et au profit de certains exportateurs pour lesquels BPI France serait sûre de leur obtention du marché ; et

- Globalement, une structuration relativement légère par rapport aux Financements de Projet (notamment absence de sûretés ou rarement exigées par l’ACE), ce qui vient considérablement alléger les frais notamment juridiques.


Selon un cercle vertueux, les banques ainsi soutenues par l’ACE dans leur engagement de crédit, peuvent accorder à l’acheteur étranger des conditions souples et compétitives, favorisant de facto la compétitivité de l’exportateur soumissionnaire dans un environnement concurrentiel et risqué.


Enfin, il est indéniable que le crédit-acheteur offre à l’exportateur une solution de financement hors-bilan bien préférable aux crédits standards de trésorerie qui obéreraient sa capacité financière et ses ratios, ou encore aux mécanismes de Trade Finance ou de transfert de créances, inadaptés aux projets d’infrastructures.



En conclusion, fort est de constater que les vertus du crédit-acheteur en font un levier incontournable pour le financement de projets d’infrastructures essentielles éligibles et, partant, un catalyseur du développement international des entreprises concernées.


S’il connaît un large succès auprès des exportateurs initiés, le plus souvent sur des opérations de taille conséquente, il est toutefois encore trop peu connu des autres acteurs existants ou potentiels, alors que sa structure juridique est relativement simple. Il faut souligner qu’il est également ouvert aux « petits » contrats commerciaux de quelques millions d’euros intéressant essentiellement les PMEs/ETIs, domaine de développement certain mais encore à un stade embryonnaire.


En pratique, pour les exportateurs français, sous réserve d’un diagnostic export positif préalable, il est possible de vérifier l’éligibilité de principe d’une opération à la couverture assurance-crédit de BPIFrance Assurance Export en remplissant le formulaire « Go-No Go » accessible sur le site de BPIFrance.

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